En 1971, date de l’entrée en vigueur du droit de vote et d’éligibilité des femmes, dix femmes sont élues au Conseil national et une au Conseil des Etats. Imaginons-les, ces conquérantes, siéger pour la première fois au Parlement suisse. A la Chambre du peuple, elles sont perdues au milieu des vestes sombres et des visages masculins. La salle est noire de fumée, les papiers jonchent le sol, l’air est lourd en fin de journée, comme sans doute les blagues et la condescendance. Au Conseil des Etats, la Genevoise Lise Girardin est seule. Il n’y a pas de micro pour se faire entendre, sa voix porte mal, en tout cas moins loin que celle de ses collègues masculins. Regardons-les, ces femmes des premiers temps. Cheveux domestiqués, lunettes fond de bouteille, chemisier austère. Un regard à la fois bravache et étonné de ce qui leur arrive.

Quarante-quatre ans plus tard, où en est-on? 57 femmes, soit 28,5%, siègent au Conseil national; neuf, soit 19,6%, au Conseil des Etats. Les élues d’aujourd’hui sont donc plus nombreuses, plus jeunes, décomplexées. Elles assument leur féminité, leur autorité, ont abandonné le col jabot. Elles font des enfants en même temps que leur carrière politique, se spécialisent sur des sujets dits masculins, accèdent aux fonctions importantes, se hissent au Conseil fédéral.

On aurait donc pu penser que les temps pionniers sont terminés, que le plus dur est derrière nous, qu’une représentation équilibrée – allez, rêvons, de 50% – est désormais possible, accessible. Rien n’est moins sûr. La présence des femmes dans les exécutifs cantonaux ne progresse pas, voire régresse. Au Tessin et à Lucerne, les gouvernements sont composés uniquement d’hommes, sans que personne n’y trouve à redire. Si l’on prend la Suisse romande, la présence des femmes dans les pouvoirs cantonaux est misérable (à l’exception du canton de Vaud). Une femme seulement dans les cantons de Neuchâtel, de Genève, du Jura, du Valais. Deux dans le canton de Fribourg. La même tendance se profile pour les élections fédérales de 2015, en particulier pour les candidatures au Conseil des Etats, souvent soumises au système majoritaire. Neuf femmes siègent actuellement à la Chambre des cantons. Deux d’entre elles, Verena Diener et Christine Egerszegi, quittent leur mandat et seront de toute manière remplacées par des hommes, quel que soit le résultat des élections. Anne Seydoux Christe, une sénatrice respectée et appréciée par ses pairs, excellente représentante de son canton, le Jura, est pourtant menacée par une OPA inamicale d’un de ses collègues de parti.

Le seul espoir de stopper la diminution de la présence féminine au Conseil des Etats se concentre sur la candidature de la socialiste Prisca Birrer-Heimo, un siège extrêmement difficile à conquérir. Sauf surprise donc, dans le pire des cas, le Sénat serait composé de six femmes, dans le meilleur de huit, des proportions identiques à celles d’il y a vingt ans!

Quand, dans les gouvernements ou au Parlement, les sièges sont occupés presque exclusivement par des hommes, cela signifie que, pendant dix ou quinze ans, des femmes se retrouvent exclues des lieux de décisions politiques. Une génération est ainsi sacrifiée, et celle qui suit, privée de modèles dans lesquels puiser élan et inspiration, risque de s’en détourner elle aussi.

Espérons donc que 2015 ne trahisse pas quarante ans d’engagement en faveur de l’accès des femmes aux responsabilités politiques. Œuvrons pour être la hauteur du courage des onze femmes du Parlement fédérale de 1971 et du progressisme de la population de l’époque qui les a élues.